La Rue : une plante de mauvaise vie sans morale !

Ruta graveolens L.

 

 

 

La Rue fétide (Ruta graveolens L.) est un petit buisson persistant d'un mètre de haut et pouvant vivre durant 4 à 5 ans. Elle a des feuilles pétiolées 2 à 3 fois découpées en petites folioles, bleu-vert et à forte odeur nauséabonde : graveolens vient du latin gravis, « lourd », et olor, « odeur ». Ainsi, sans la voir, le grimpeur la sent de loin sur les coteaux arides et garigues ensoleillées. Il est préférable pour lui de l'éviter. De petites glandes, visibles par transparence sur les feuilles, contiennent des furanocoumarines photosensibilisantes. Qui s'y frotte, s'y... cloque sous le feu du soleil en laissant des tâches brunes pour de nombreuses années.

Heureusement, la Rue des jardins est très loin de courir les rues… Originaire d'Ukraine, elle avait largement été cultivée à travers le monde, mais est devenue rare en tant qu' espèce spontanée en Europe méridionale du fait de la dégradation de ses habitats naturels. Elle a aussi été introduite jusqu'en  Australie et Amérique du Sud où elle s'est souvent échappée d’anciennes cultures et est devenue parfois envahissante, au point d'en rendre sa culture illégale dans  certains états.

Ce n'est pas pour ses bouquets terminaux de petites fleurs jaune vif que la Rue de fleuriste a été cultivée, même si des fossettes nectarifères en font une belle mellifère. A espérer que le miel produit n'a pas l'odeur vineuse de la plante ! Ce n'est pas non plus pour la curiosité qu'offre le ballet à 8 étamines : une étamine "impaire" sur deux se redresse successivement pour  toucher le stigmate du pistil, chaque étamine heurte celle qui l'a précédée et la remet en  place. Une fois un tour réalisé, un deuxième tour est effectué avec les étamines "paires". Mais ce sont surtout pour ses propriétés médicinales qu'elle a été cultivée.

Avant toutes choses, il faut savoir que les coumarines qu'elle contient la rende toxique à forte dose. Son ingestion peut induire notamment un  gonflement de la langue accompagné d'une forte salivation et à forte dose provoquer des accidents graves du foie et du rein, voire  mortels.  Donc, même si elle fait partie bizarrement de la belle famille des agrumes (Rutacées) son usage en cuisine est à prendre avec beaucoup de précaution et à dose infime.


La rutine, substance proche de la vitamine C2, qu'elle contient agit comme agent tonique et stimulant pour la digestion. Aussi, elle utilisée pour parfumer la grappa alla ruta, une eau-de-vie italienne, ou mangée crue comme herbe aromatique crue dans certaines omelettes, ou encore infusée avec  le café d'Éthiopie, ... mais, rappelons le, à des doses infimes .... et pour des personnes bien portantes et surtout pas chez les femmes enceintes au risque de provoquer des malformations fœtales. La présence de bergaptène permet de soigner en homéopathie les tendinites, entorse,  luxation notamment chez les sportifs, mais ne vaut-il pas mieux privilégier un bon échauffement  avant l'effort physique ?

La Rue a eu son heure de gloire. Du grec reô, je coule, son nom fait allusion à ses propriétés emménagogues et abortives.  L'histoire raconte que Julia Titi, la fille de l'empereur romain Titus serait morte après en avoir consommé lors d'un avortement forcé. Puis, du Moyen-âge jusqu'aux Temps Modernes, elle faisait partie de la panoplie des "sorcières" pour réaliser les avortements illégaux. C'est pour cette raison que la culture de la Rue des jardins fut interdite par une loi de  1921, et, même le spécimen du jardin des plantes de Paris, se trouva protégé  "d'une grille en fer pour empêcher les filles involontairement enceintes de le dévaliser".

De nos jours, sa culture est à nouveau autorisée, considérée comme une plante miracle notamment pour éloigner les chats et vipères à cause de son odeur répulsive. Des sachets de feuilles de Rue séchée repoussent fourmis, souris et mites, ou en purin biologique pour chasser le doryphore, les chenilles, et les  pucerons.

Dans le registre "potins de la Rue", on dit que les Girondins utilisaient une infusion de 3 rameaux de Rue avec de l'eau bénite  et déclamaient " Ô rue! Belle Rue! Toi si belle, fais que tout homme en passant  apporte ici or et argent". Si cela ne fonctionnait pas, il y avait toujours le recours possible au vinaigre antiseptique des quatre voleurs à base de Rue qui permit à des Toulousains du XVIIe siècle de s'introduire dans des maisons contaminées par la peste sans contracter le mal. Pendant ce temps, les femmes de mauvaise vie pouvaient se parfumer avec son huile essentielle pour s'attirer les charmes ces mêmes hommes devenus riches !